Secret médical: Quand un magistrat publie le statut sérologique d’un accusé

Publié le par Bobby

Accusé de vol d’ordinateur et de téléphone portable, un artisan ne voulait pas parler de sa maladie. Le Tribunal s’est chargé de le faire, violant avec zèle le secret médical…

 

Par Christophe Bobiokono - cbobio@gmail.com

 

« Monsieur ! Qu’avez-vous à cacher ici ?... Vous êtes allé vous faire dépister volontairement… Le Vih c’est quoi ?... Qu’avez-vous à cacher que vous avez le Vih ?... » Hier, mercredi 4 avril 2012 à l’audience criminelle du Tribunal de grande instance de Yaoundé, présidée par le juge Aoudou et ayant M. Foba Onana comme Représentant du ministère public, l’on a foulé au pied le secret médical. Accusé du vol, en mars 2011, d’un sac contenant notamment deux ordinateurs et un téléphone portable, un artisan originaire de Foumban, né en 1969 et père de huit enfants était interrogé comme témoin de sa propre défense. Installé dans le box des témoins, il racontait sa version des faits et criait son innocence. Il sortira de ce box alors que son statut sérologique était connu de toute la salle où se trouvaient ses codétenus de la prison de Yaoundé et quelques membres de sa famille. L’amertume était à son comble pour nombre d’observateurs.

Alors qu’il sortait d’un long internement à l’Hôpital Jamot suite à une maladie qu’il n’a pas voulu nommer « par pudeur », l’inculpé dit dans sa narration des faits avoir été témoin, à la Vallée Nlongkack, d’un incident de la circulation qui aurait été à la source de ses malheurs. Un jeune-homme, dit-il, venant en courant a failli être percuté par un taxi qui roulait sur la chaussée. Portant le fameux sac, ce jeune-homme se serait retrouvé dans la rigole. Accouru pour lui prêter secours, l’accusé va se retrouver avec le sac contenant ordinateurs et téléphone portable, son propriétaire du moment ayant pris la poudre d’escampette pour se soustraire de la rage du conducteur du taxi qui venait, semble-t-il, avec l’intention de le « corriger » de son manque de prudence sur la chaussée. Le jeune « accidenté » ne reviendra pas de sa fuite.

Une affaire de sac abandonné…

Notre artisan malade raconte qu’il ne trouvera personne sur le lieu voisin de l’accident qui accepte de garder le sac laissé par le fugitif. Suite au conseil reçu d’un échoppier, il décide de se rendre au Commissariat du 10ème arrondissement de Yaoundé pour déposer le sac, mais en passant par son domicile au quartier Tsinga, où il devait récupérer sa carte nationale d’identité. Mais il n’arrivera plus au commissariat, s’étant rendu compte que le sac contenait outre les deux ordinateurs, un téléphone portable en service qu’il pouvait utiliser pour retrouver le propriétaire des effets. Quelques coups de fils plus tard, il aura la promesse de recevoir une récompense de 100 mille Fcfa s’il restituait le sac. Mais, comme avant-goût de cette récompense, il aura reçu un crédit de communication de 30 mille francs sur son propre téléphone dont il dit avoir communiqué le numéro à un interlocuteur qui se présentait comme le propriétaire des objets en sa possession.

La restitution des effets va être retardée d’un week-end. Le propriétaire des ordinateurs cherchait-il à mettre en place un stratagème pour retrouver et faire punir le voleur de ses effets ? Etait-il à la recherche des 100 mille Fcfa promis à l’accusé ? Toujours est-il qu’alors qu’un rendez-vous avait été préalablement pris au lieu dit Mini-prix Bastos pour la remise des effets, l’accusé va se retrouver obligé de se rendre à la Division provinciale de la police judiciaire du Centre où un de ses voisins, qui avait précédemment utilisé son téléphone portable, a été interpellé par les enquêteurs. Il sera à son tour arrêté puis placé en détention provisoire à la prison de Kondengui après avoir été inculpé pour le vol des ordinateurs et du téléphone portable...

Et le délit d’origine ethnique…

Pour cette affaire qui connaissait une énième audience le 4 avril, le représentant du ministère public donnait l’impression de vouloir obtenir le plus rapidement possible la condamnation d’un accusé sans doute agité, mais qui criait son dans une langue approximative. Le procureur de la République va l’interrompre plusieurs fois dans le récit de sa version des faits, dans un silence bienveillant du président de Tribunal, pour dire à quatre ou cinq occasion « [qu’on] connaît les Bamoun. Ils ne disent jamais la vérité ». Si l’accusé a toujours répliqué qu’il était jugé pour des faits précis en demandant si tous les Bamoun déférés devant les tribunaux devaient désormais être condamnés simplement parce qu’ils sont Bamoun, il n’a pas manqué de dire, exaspéré au représentant du ministère public qu’on pouvait le « condamner à mort », mais que ça ne changeait rien à la vérité. Et c’est dans ce zèle d’obtenir la condamnation de cet artisan que son statut sérologique va être dévoilé…

L’affaire a été renvoyée à une date que l’auteur de ces lignes n’a pas suivie, sorti de la salle d’audience parce que outré par la violation flagrante et totalement injustifiée du secret médical par ceux-là même qui sont chargés de juger et de faire respecter les Lois et règlements de la République.

C.B. 

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D
Et puis, la dérive tribale est absolument écoeurante à des niveaux insoupçonnés de nos institutions. Penser qu'on est déjà coupable du seul fait d'être de telle ou telle tribu ... c'est afligeant<br /> lorsque ça vient des "hommes de loi"
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D
Merci C.B pour ce reportage froid mais poignant de la réalité que l'on vit dans nos tribunaux. J'ai même des doutes sur la profondeur des connaissances juridiques de ces soi-disant homme de lois.<br /> cette violation est la preuve que les juges se considèrent au-dessus de la loi. ils sont intouchables et ont la chance d'avoir eu une place au soleil par les canaux qu'ils maitrisent.
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B
Bonjour, Christophe! Tu fais bien de dénoncer cette violation flagrante et révoltante des droits de ce citoyen mais il sera condamné au moins pour vol spécial, parce qu'il le mérite ; eh, oui!<br /> Autant je peux m'apitoyer sur son sort de personne victime d'une injustice manifeste de la part de ce magistrat, autant je vais jubiler lorsqu'il sera condamné à rester en taule pour longtemps<br /> encore car c'est ce qu'il mérite, en dépit de son état sérologique. En effet, son histoire est cousue de fil blanc et si tu lis son ordonnance de renvoi, que je n'ai pas lue, tu verras sans doute<br /> qu'il ment. NB j'ai passé 1 an et demi au palais de justice à faire de la collecte pour écrire des chroniques judiciaires. J'apprécie ton travail, boby! Eugène-P. BELA Tel 99 72 85 86<br /> belaeugene@yahoo.fr
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