« Opération épervier » : Que le gouvernement foute la paix à la presse et à la Justice !

Publié le par Bobby

Chronique des faits qui démontrent que la prétendue campagne d'assainissement des moeurs de gestion publique menée au Cameroun est une opération déguisée de règlements de compte politique qui s'impose aux magistrats et aux chroniqueurs judiciaires.

 

Par Christophe BOBIOKONO - cbobio@gmail.com

 

Ce n’est pas souvent qu’un communiqué de presse sanctionnant une séance de travail présidée par le Premier ministre passe quasiment inaperçu. En plus de la lecture intégrale du document, la radio et la télévision d’Etat se font presque toujours l’obligation de diffuser des commentaires pour appuyer surabondamment les décisions gouvernementales prises à l’occasion. Ce rituel n’a pas été respecté le 18 août 2011, jour où M. Yang Philémon a réuni le vice-Premier ministre chargé de la Justice, le ministre de la Communication et le tout nouveau président du Conseil national de la Communication pour instruire le procès de la presse. Il a fallu attendre la parution, quatre jours plus tard (le 22 août), du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune pour découvrir, négligemment présentées en pied de page, les versions françaises et anglaises du communiqué de presse conçu à l’occasion.

Ce traitement peu valorisant de la séance de travail présidée par le chef du gouvernement par la presse gouvernementale semble traduire l’énorme gène que le Premier ministre aurait éprouvé lui-même, en commentant le fonctionnement de la magistrature, un domaine qui échappe totalement à sa compétence. Pour la première fois depuis le début de la prétendue croisade lancée contre les mauvais gestionnaires de la fortune publique, baptisée « opération épervier », le Premier ministre s’est autorisé une appréciation du processus. Et tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, Philémon Yang a fait une mise au point, à l’attention de l’opinion publique nationale et internationale, pour déplorer « la dénaturation par certains médias de l’opération d’assainissement de la gestion publique », avant de les appeler à « plus de mesure et de responsabilité dans le traitement ayant trait aux procédures pendantes devant les juridictions ».

Le communiqué de presse signé de Jules Doret Ndongo, le Secrétaire général des Services du PM, a voulu repréciser certains choses : « La Campagne de lutte contre la corruption et les détournements de deniers publics actuellement en cours à l’initiative du président de la République […] ne saurait, en aucune façon, être assimilée à une opération de nature politique ». Et comme souvent, une mise en garde a été faite aux « chroniqueurs auteurs des dérives professionnelles intolérables et récurrentes, au mépris des prescriptions déontologiques ». Ces derniers s’exposent, a précisé le communiqué, « aux sanctions prévues par la loi du 19 décembre 1990 sur la liberté de la communication sociale et le Code pénal ». Une menace à peine voilée sur un bouc émissaire désigné…

Campagne aux relents politiques

Pour comprendre le contexte qui a prévalu à la curieuse sortie du Premier ministre sur le sujet de « l’opération épervier », il convient de rappeler deux ou trois faits importants qui ont alimenté la chronique judiciaire des jours précédents. Pendant six bonnes semaines, l’ancien secrétaire général de la présidence de la République, Jean-Marie Atangana Mebara, incarcéré depuis trois ans à la prison centrale de Yaoundé notamment pour des faits relatifs au processus d’acquisition d’un avion présidentiel, a été privé, sans raison connue, de son droit aux visites. La situation a été portée à l’attention de l’opinion par l’intéressé lui-même, le 29 juillet 2011, au cours d’une audience publique de son procès. Une audience pendant laquelle l’ancien ministre d’Etat disait son inconfort psychologique à répondre aux questions du parquet, ses droits les plus élémentaires de prisonniers étant bafoués. Un incident qui donne lieu depuis à des renvois presque fantaisistes de l’affaire...

Le second fait est relatif à l’arrivée au Cameroun de trois avocats français constitués pour la défense des intérêts de Yves-Michel Fotso, ancien Directeur général de la Camair poursuivi au sujet du détournement de plus de 20 milliards Fcfa destinés à l’achat de l’avion présidentiel et incarcéré depuis le 1er décembre 2010 à la prison centrale de Kondengui. Le séjour desdits avocats a été marqué par un point de presse donné le jeudi 04 août 2011 à l’hôtel Jouvence à Yaoundé, au cours duquel ces derniers ont estimé que les faits reprochés à leur client ne pouvaient nullement donner lieu à des poursuites pénales, mais tout au plus à un procès civil. Leur client était donc, selon eux, arbitrairement privé de sa liberté de circuler. Dans le prolongement de leur point de presse, Me Alice Nkom, avocat au barreau du Cameroun et présidente du Réseau international de soutien au juge intègre enfonçait le clou : «l'opération épervier », avait-elle affirmé en prenant prétexte de l’incarcération de M. Fotso, a été détournée de son objectif pour devenir le prétexte pour des « règlements de compte politico-ethico-médiatique ».

Trois semaines plus tôt, Urbain Olanguena Awono, ancien ministre de la Santé publique interné lui-aussi à la prison de Kondengui et poursuivi pour détournement de fonds publics avait dressé un réquisitoire identique de la lutte contre la corruption : « Ce qui devait rester strictement une opération d’assainissement des mœurs de gestion des affaires publiques, avait-il écrit le 12 juillet 2011, a très vite quitté ses bases morales pour se muer en un champ d’impitoyables règlements de comptes politiques sur fond d’instrumentalisation de l’appareil d’Etat, y compris la justice, d’intoxication et de manipulation de l’opinion par la théâtralisation policière et médiatique des arrestations des personnalités victimes. [Il ajoutait qu’il] a même été créé une catégorie de suspects potentiels dans une logique de justice discriminatoire orchestrée par les pilotes de l’« Opération Epervier » qui n’ont pas hésité à duper le Chef d’Etat pour des raisons propres à leur agenda politique. De la sorte, de faux dossiers ont été fabriqués, orientés et lui ont été soumis, faisant de lui l’acteur principal d’un jeu de dupes. »

Atteinte à la liberté de presse

Tous ces faits et certains autres révélés au cours des procès de l’opération épervier, qui trahissent le caractère systémique de la pratique de la corruption au Cameroun, ont été mis à la disposition du public de façon régulière. La presse a-t-elle dénaturé cette campagne en faisant son travail de médiateur au point de laisser croire qu’il s’agissait d’une opération politique, comme le prétend le communiqué signé du secrétaire général des Services du Premier ministre ? La réponse est « non » ! Et, cela, pour au moins trois raisons. D’abord, le traitement de ces affaires par les chroniqueurs judiciaires s’est faite dans le respect des règles professionnelles et en conformité avec le droit du public à l’information, qui est un droit inaliénable et consubstantiel aux Etats de droit qui se respectent. De ce fait, la réunion organisée par le Premier ministre et les menaces proférées à cette occasion à l’endroit des chroniqueurs judiciaires constituent une atteinte maladroite à la liberté de presse. Il est regrettable que le président du Conseil national de la Communication ait assisté à une telle rencontre.

Ensuite, s’agissant toujours du droit du public à l’information, la sortie du Premier ministre est d’autant maladroite qu’aucune disposition n’a été prise jusqu’ici par les pouvoirs publics pour permettre à l’opinion publique d’être minimalement renseignée sur ce qui se passe. Le public assiste à des arrestations de plus en plus spectaculaires d’anciens hauts dignitaires de l’Etat, sans qu’aucune communication ne soit faite pour indiquer ce qui est reproché aux personnalités ainsi montrées en spectacle. Mieux, le gouvernement est souvent resté muet lorsqu’au mépris de la présomption d’innocence, certains médias très introduits auprès de certains très proches collaborateurs du président de la République, anticipent sur l’interpellation desdites personnalités au point de les diffuser quasiment en mondovision. Ou lorsque la radio et la télévision d’Etat organisent, à la police judiciaire, le tournage d’images montrant ces justiciables dans des postures peu avantageuses. Ce silence gouvernemental semble consacrer le principe de deux poids, deux mesures dans l’appréciation du travail des médias.

Enfin, de nombreux faits recensés depuis le début de la prétendue campagne de lutte contre les mauvaises mœurs de gestion publique attestent eux-mêmes du caractère éminemment politique de cette démarche. Il ne s’agit point d’un maquillage de l’opération dont se seraient rendus coupables les chroniqueurs judiciaires, mais de la nature même de cette campagne. Il devient dès lors nécessaire de ramener quelques-uns de ces actes à la lumière publique pour permettre à chacun d’en juger et de mettre la presse hors de cause des accusations que M. le Premier ministre fait planer sur elle. Les exemples ne manquent en effet pas pour le (dé)montrer.

Dépendance du pouvoir judiciaire

En révélant lui-même à l’opinion publique nationale, le 21 février 2006, qu’il avait « une demi-douzaine » de dossiers prêts pour la Justice, M. Amadou Ali, vice-Premier ministre chargé de la Justice, avait clairement indiqué que c’est le gouvernement qui fixait l’agenda judiciaire de « l’opération épervier ». Il violait ouvertement l’article 37 alinéa 2 de la Constitution qui consacre l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs exécutifs et législatif. Par ailleurs, le vice-Pm Amadou Ali s’est toujours comporté comme si les personnalités concernées par les poursuites étaient condamnées d’avance. Une de ses déclarations reprise dans les colonnes du quotidien Le Jour n°710 daté du mercredi 16 juin 2010 est fort révélatrice de ce que la présomption de culpabilité a été érigée en principe par le gouvernement : «Je mets quiconque au défi de prouver que ceux qui sont arrêtés étaient innocents… Ceux qui disent qu’ils sont innocents ont bien caché ce qu’ils ont volé. ». Une sortie médiatique qui se passe de commentaires…

Déjà en 1997, dans une communication téléphonique prémonitoire des ennuis judiciaires de Titus Edzoa, M. Amadou Ali alors Secrétaire général de la Présidence de la République en conversation avec Edouard Akame Mfoumou, ministre d'Etat chargé de l'Economie et des Finances à l'époque, avaient programmé la technique du "rouleau compresseur" à l'encontre du ministre démissionnaire, qui avait annoncé sa candidature à l'élection présidentielle. Placé dans une cellule peu aérée au Secrétariat d'Etat à la Défense alors sous les ordres de M. Amadou Ali, Titus Edzoa y est encore jusqu'à ce jour. Déjà condamné à 15 ans de prison ferme au cours d'un procès expéditif en 1997, le prédecesseur de M. Amadou Ali au secrétariat général de la Présidence de la République subit depuis bientôt deux ans un nouveau procès interminable, sur les inculpations prononcées à son encontre depuis... 14 ans. Et mises en veilleuse depuis selon la technique bien programmée du fameux rouleau compresseur...

Mieux : M. Amadou Ali a essayé par moments d’influencer le cours des enquêtes judiciaires. Il s’est par exemple personnellement impliqué dans la recherche des pièces devant servir à la condamnation de certains justiciables. Ce fut le cas, le 08 octobre 2008, alors que l’instruction judiciaire était déjà en cours dans l’affaire opposant l’Etat du Cameroun à Jean-Marie Atangana Mebara. Recherchant des résultats à tout prix, le Garde des sceaux faisait remettre à M. Adolphe Moïse Fridolin Moudiki Elamé, Dg de la Société nationale des Hydrocarbures (Snh), par l’entremise du Directeur des affaires pénales du ministère de la Justice, un prétendu contrat d’achat de l’avion présidentiel signé le 14 août 2001 entre Gia international et la Camair. La manœuvre, finalement dévoilée par le patron de la Snh pendant l'enquête judiciaire, visait à montrer que M. Atangana Mebara avait rompu le contrat d’achat de l’avion présidentiel. Contrat qui n'a jamais existé. Une tentative de subornation de témoin que les magistrats se sont gardés jusqu'ici de questionner...

Avant le vice-Pm chargé de la Justice, son collègue de la communication, porte-parole du Gouvernement, affirmait déjà en pleine conférence de presse, le 02 février 2010, que les victimes de l’opération épervier avaient l’intention d’accaparer la présidence de la République, suggérant par la même occasion que les suspects subissaient en retour les représailles du président national du Rdpc, le parti politique au pouvoir. « Qu’est-ce qu’on reproche aujourd’hui à tous ceux qui sont en prison ? On leur reproche d’avoir massivement détourné les deniers publics. Qu’est-ce qu’ils veulent faire avec tout cet argent ? Peut-être aspirent-ils à gouverner. Dans un premier temps, je vous fais remarquer une chose : pour tous les militants du Rdpc qui se trouveraient aujourd’hui en prison, ils savent que les statuts du Rdpc stipulent que le candidat du parti à l’élection présidentielle reste le Président national. Donc tous ceux-là qui ont détourné dans la perspective de la compétition présidentielle savent qu’ils ne peuvent pas le faire au sein du RDPC. » Peut-on mieux démontrer le caractère politique de l'opération épervier?

Des suspects au sein du gouvernement

En fait, toutes ces postures des membres du gouvernement sont, elles-mêmes, conformes au canevas tracé par le président de la République, garant constitutionnel de l’indépendance de la magistrature, dans le cadre de la lutte contre la mauvaise gestion de la fortune publique. Après avoir mis en veilleuse pendant une bonne vingtaine d’années l’action judiciaire à l’égard des gestionnaires publics véreux, en lançant aux téléspectateurs éberlués un « Où sont les preuves ? » en réponse à une question d’un journaliste qui constatait, en 1987, l’impunité dont jouissaient ces hautes personnalités, Paul Biya n’a (re)trouvé des preuves que lorsqu’il sentait son pouvoir en danger. Titus Edzoa, coupable de s’être déclaré candidat à la présidentielle de 1997 (cas ci-dessus rappelé), et Pierre Désiré Engo, victime d’une machination politicienne le présentant comme un adversaire déclaré du président de la République dans la même période, furent les premiers à en faire la douloureuse expérience...

Aujourd’hui encore, le président de la République donne la preuve que les foudres judiciaires déclenchées contre ses anciens collaborateurs n’ont nullement pour but de combattre la mauvaise gestion, mais de préserver son pouvoir ou de terroriser tous ceux qui auraient l’intention de convoiter son trône, au risque assumé de brouiller son discours politique. C’est la seule raison qui explique qu’au sein de son gouvernement, siègent de façon imperturbable des citoyens gravement mis en cause par la justice pour leurs actes de gestion. Depuis février 2010, le juge d’instruction chargé du dossier de l’acquisition de l’avion présidentiel a clairement indiqué dans une ordonnance judiciaire que des indices graves et concordants laissaient croire que M. Marafa Hamidou Yaya avait participé, en co-action avec Yves-Michel Fotso notamment, au rapt de la fortune publique évaluée à plus de 20 milliards Fcfa. Le magistrat entendait l’inculper pour l’interroger à cet effet. Au mépris des réquisitions prises (puis annulées sous la pression politique) pour limiter ses mouvements, M. Marafa reste l’un des piliers du régime, puisqu’il est ministre d’Etat chargé de l’administration territoriale, pendant que d'autres personnes suspectées d'avoir commis les mêmes faits que lui croupissent en prison. Et ce n'est pas un cas unique.

Ce parrainage de la mauvaise gestion publique est d’autant surprenant de la part du président de la République qu’il lui est arrivé, sur la base de simples soupçons ne reposant sur aucun fait matériel, d’autoriser des poursuites judiciaires à l’encontre de certains de ses collaborateurs pendant que d'autres jouissent d'une impunité totale en dépit de la gravité des faits mis à leur charge. Ce fut le cas le 28 février 2010. Au lendemain d'un remaniement ministériel spécial qui le sortait du gouvernement, M. Siyam Siwé Alphonse, ancien Dg du Port autonome de Douala et précdemment ministre de l'Eau et de l'Energie était inculpé pour avoir, dans la période allant de 1999 à 2003, « obtenu ou retenu frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destiné ou confié au Port autonome de Douala, d’une valeur supérieure à 100 mille Fcfa, faits prévus et réprimés par les articles 74 et 184 du Code pénal », selon le mandat de première comparution dressé par le magistrat instructeur. Il fut mis aux arrêts alors qu'aucun fait précis ne lui était encore reproché...

Cette authentique chasse aux sorcières avait abouti à la condamnation à vie, le 11 juin 2009, de l’ancien ministre au cours d’un procès émaillé par l’intervention décisive de trois inspecteurs d’Etat spécialement requis comme experts judiciaires longtemps après la mise aux arrêts de M. Siyam Siwé avec pour but de rechercher dans la gestion du déjà inculpé, une opération frauduleuse "d'une valeur supérieure à 100 mille Fcfa". Ironie du sort, ces inspecteurs d’Etat allaient être reconnus coupables pour des actes de corruption posés pendant leur mission. Pour avoir indument perçu la somme de 200 millions Fcfa du Port autonome de Douala, partie au procès, alors qu'ils étaient régulièrement mis en mission par le ministère de la Justice, ils furent suspendus de leurs fonctions le 23 août 2010 pour « violation de principes déontologiques dans le cadre de l’expertise judiciaire et de collaboration avec le parquet ». Mais les suites judiciaires de leur sanction tardent à arriver pendant que les victimes de leurs témoignages viciés sont au cachot... Ce sont les relents de cette justice aux ordres et à plusieurs vitesses qui ont sans doute dissuadé le gouvernement à organiser une campagne tapageuse autour de son communiqué du 18 août 2011. 

 

Publié dans Médias et gouvernance

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
I
<br /> Merci pour cette info. Avec ta permission, j'ai copié larticle pour la lire à la maison.<br /> <br /> <br />
Répondre
P
<br /> http://patrick.rifoe.over-blog.fr/article-reflexions-sur-le-droit-a-l-information-dans-l-effectuation-juridique-au-cameroun-au-prisme-de-l-arrestation-de-yves-michel-fotso-62535606.html<br /> Cette réflexion me ramène à celle que j'avais produit en rapport avec l'arrestation d'Yves Michel Fotso.<br /> <br /> <br />
Répondre