Gestion de la Camair : Pourquoi Francis Nana a eu raison de Yves-Michel Fotso

Publié le par christophe.bobiokono.over-blog.com

Les décisions rendues par le Tribunal de première instance de Douala-Bonanjo puis la Cour d’appel du Littoral contre le patron du Cabinet Sigma Finance reposaient sur une procédure judiciaire clandestine. La Cour suprême a sanctionné la fraude en annulant jusqu’au support du « faux ». Décision complète de la haute juridiction.

 

Par Christophe BOBIOKOBO - cbobio@gmail.com

 

« La Cour, statuant publiquement et contradictoirement à l’égard des parties, en la forme, reçoit le pourvoi. Au fond : casse et annule l’arrêt n°110/P rendu le 27 mars 2008 par la Cour d’appel de Douala. Evoquant et statuant de nouveau : annule le jugement n°740/Cor rendu le 15 décembre 2008 par le Tribunal de première instance de Douala-Bonadjo. Annule la citation directe du 14 juillet 2005. Condamne Yves-Michel Fotso aux dépens ». Voilà, dans le détail, le dispositif du jugement rendu jeudi dernier, 21 juillet 2011, par la section criminelle de la Cour suprême dans l’affaire qui oppose Yves-Michel Fotso à Francis Nana. Un épilogue judiciaire définitif marqué par la victoire de celui qui avait déjà mordu la poussière à deux reprises devant le Tribunal de première instance (Tpi) et la Cour d'appel de Douala.

Le 15 décembre 2005 en effet, Yves Michel Fotso, le président du Conseil d’administration de la Commercial Bank of Cameroon (Cbc) et ancien Administrateur directeur général de la Camair, obtenait la condamnation de Francis Nana, en son absence, à six mois de prison avec sursis pendant trois ans et 3 milliards de Fcfa de dommages et intérêts devant le Tpi de Douala-Bonandjo. Il accusait Francis Nana, expert comptable basé à Londres et patron du cabinet Sygma Finance, de diffamation et de dénonciation calomnieuse. Etait en cause, une lettre confidentielle datée du 12 janvier 2005 etadressée à Charles Kooh II du Cabinet PriceWaterHouseCoopers, le commissaire aux comptes de la compagnie aérienne à l’époque des faits. Dans cette correspondance, M. Nana révélait que l’ancien Adg de la Camair avait siphonné les caisses de la compagnie aérienne en s’appuyant sur sa banque, la Cbc, en surfacturant la location des aéronefs et en utilisant des sociétés écrans, notamment Gia International et toutes ses variantes.

 

Procédure dissimulée

Cette décision était intervenue moins d’un mois après une autre, prononcée par la même juridiction sur les mêmes faits. En effet, sur la base d’une citation directe introduite le 1er août 2008 au parquet du Tpi de Douala-Bonanjo, l’ancien Adg de la Camair avait déjà engagé les poursuites judiciaires contre l’expert-comptable. L’affaire était appelée pour la première fois le 11 août et renvoyée au 13 octobre 2005. Alors que les avocats de Francis Nana prenaient part aux audiences, Yves Michel Fotso abandonnait les poursuites en refusant de verser les « frais de consignation » de la procédure : 30 mille Fcfa. Le 10 novembre 2005, le Tpi constatait sa défaillance en déclarant son « action irrecevable pour défaut de consignation ». Sans combattre, Francis Nana gagnait ce premier round de la bataille.

Cette procédure du 1er août 2008 était en réalité un leurre, puisqu’une autre avait été introduite parallèlement près de deux mois plus tard, le 29 septembre 2005, sur la base de la même citation directe et auprès de la même juridiction, mais devant un autre juge, le magistrat Tchatchouang. Et pour empêcher à l’expert comptable de se défendre, cette seconde procédure lui était dissimulée. La citation avait été servie le 14 juillet… à la réception de l’Hôtel le Ndé à Douala, prise comme contact de M. Nana. Puis le 21 juillet 2005, chez un certain M. Watat, camarade d’enfance du patron de Sigma Finance, mais aussi architecte de Yves Michel Fotso et de la Cbc et dont l’épouse était aussi employée de la Cbc. Sur la base de cette manœuvre, Francis Nana était condamné par le Tpi. Et ce verdict était confirmé, avec quelques nuances, par la Cour d’appel du Littoral, en dépit des arguments déployés par Francis Nana.

Pour saisir les enjeux de cette bataille judiciaire qui a duré six ans, un rappel des faits est nécessaire. Recruté en fait en qualité de Conseiller financier pour aider la Camair à renégocier les contrats de location d’aéronefs signés à l’époque de M. Fotso et alors que la Camair subissait la pression de Gia International pour s’acquitter du paiement d’environ 30 milliards Fcfa d’arriérés de loyers, Francis Nana avait mis à nu ce qui lui était apparu comme un important réseau de détournement des ressources financières de la Compagnie aérienne. Il avait aussi constaté que les deux avions loués à la Camair par Gia International, en l’occurrence un Boeing 747 (fameux Big-boss) et un Boeing 767, avaient été acquis avec une partie de l’argent destiné à l’achat de l’avion présidentiel (les 31 millions de dollars pour lesquels M. Fotso est poursuivi devant le Tribunal de 1ère instance de Yaoundé - centre administratif).

 

Enjeux de la bataille

A la demande de Thomas Dakayi Kamga, successeur d’Yves-Michel Fotso à la tête de la Camair, le produit des investigations de l’expert-comptable était porté à la connaissance de Charles Kooh II du cabinet Price Waterhouse Coopers, commissaire aux comptes de la compagnie aérienne, dans une correspondance confidentielle. Et le commissaire aux comptes allait saisir autant le président du conseil d’administration de la Camair que le procureur de la République pour dénoncer, dans le cadre d’une procédure d’alerte, ces faits dont la gravité était de nature, selon lui, à compromettre la survie de l’entreprise. Un risque grave planait dès cet instant sur la Cbc et sur l’ancien Adg de la Camair. Une procédure judiciaire était susceptible d'être immédiatement ouverte.

Sans doute conscient de ces risques, Yves-Michel Fotso attaquait, avec succès devant les juridictions de Douala, les écrits de Francis Nana, en jugeant qu’ils étaient non fondés. Et que, par ailleurs, le patron du cabinet Sigma finance usurpait la qualité d’expert comptable. Le 8 novembre 2007, l’avocat général près la Cour d’appel avait pourtant balayé la thèse qui avait permis à M. Fotso d’avoir gain de cause en première instance. Pour lui, Francis Nana devait bénéficier d’un non-lieu, pour avoir simplement documenté en faits et preuves ce qui était déjà connu : «Trois autres rapports datés de 2003 adressés aux autorités camerounaises par trois cabinets financiers internationaux […] ont tous décrié la gestion calamiteuse de Fotso Yves-Michel à la Camair de 2000 à 2003 », disait le magistrat. Le rapport de Kroll, rappelait-il, indique que M. Fotso «a fait multiplier la dette de cette société par quatre en même temps qu’il faisait signer à la Camair des contrats surévalués de leasing d’aéronefs impliquant des sociétés dont il était propriétaire».

L’avocat général évoquait aussi le «rapport de PriceWaterhouseCoopers [qui avait]stigmatisé la mauvaise gestion et le manque de supervision de Fotso Yves-Michel, un système déficient de contrôle interne, une absence frauduleuse de contrôles ». Il citait enfin le rapport de Aircraft Portfolio Management (Apm) qui « [affirmait] également que Fotso Yves-Michel utilisait la Banque Cbc et la Banque Belgolaise de Paris pour effectuer des paiements en espèces afin qu’aucune trace des transactions ne soit perceptible au Cameroun». Plus de 30 milliards Fcfa auraient ainsi pris la route de comptes occultes. De nombreux arguments juridiques étaient développés par l’avocat général pour demander que M. Nana soit déclaré «non coupable» et que le jugement du 15 décembre 2005 soit totalement infirmé. L’avocat de M. Nana est allé dans le même sens.

 

Fotso fragilisé

Après plusieurs péripéties, la cour d’appel du Littoral rendait son jugement le 27 mars 2008. Contre toute attente, M. Nana était reconnu coupable de dénonciation calomnieuse à l’égard de l’ancien Dg de la Camair. La cour le condamnait à six mois de prison avec sursis pendant trois ans et à payer un franc symbolique à son adversaire en guise de dommages et intérêts. Il devait en outre s’acquitter d’une amende de 10 mille Fcfa et du paiement des frais de procédure (dépens). Malgré le fait que les dommages et intérêts octroyés à M. Fotso étaient passés de 3 milliards Fcfa (jugement de première instance) à un franc symbolique, allégeant substantiellement la sanction de Francis Nana, ce dernier se décidait de se pourvoir en cassation auprès de la Cour suprême du Cameroun afin d’obtenir que son honneur soit totalement lavé. C’est ce qui est arrivé finalement le 21 juillet 2011.

Toute la procédure qui a conduit aux deux condamnations subies par Francis Nana est réputée n’avoir jamais eu lieu, puisque la chambre correctionnelle de la Cour suprême les a toutes cassées. Plus important : la haute juridiction a annulé totalement la citation directe à base de laquelle ce procès avait été introduit. Les conséquences du verdict de la haute juridiction vont au-delà de la restauration de l’honneur de Francis Nana. Elles bousculent sérieusement le système de défense mis en place par Yves-Michel Fotso dans les procédures judiciaires introduites contre sa personne ou encore en veilleuse, dans la mesure où est les condamnations antérieures de Francis Nana étaient jusqu’ici brandies comme la preuve que l’ancien Pca de la Cbc était tout simplement l’objet d’accusations calomnieuses.

C.B.

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