Affaire des « enveloppes » du DCC : Et si les employés et les entreprises étaient les dindons de la farce

Publié le par Bobby

Christophe Bobiokonocbobio@gmail.com


J'ai été frappé par le bout de texte ci-après tiré d’une réaction sur le forum des journalistes 237 média d’Alex Azébazé, Premier secrétaire du Syndicat national des journalistes du Cameroun (Snjc), qui pose assez clairement l'un des graves problèmes qui sont mis en exergue par l'affaire de « l’appui financier » reçu du Directeur du cabinet civil du Président de la République et du ministre de la Communication lors de la campagne électorale de la dernière Présidentielle : « Nous sommes convaincus, dit-il, que c'est d'une adéquation entre les ressources essentielles et transparentes des médias et la rémunération conséquente et décente de ses professionnels que nous pouvons en bonne partie remettre ce métier sur ses fondamentaux dont le piler est l'indépendance professionnelle et éditoriale ».

Cette opinion du Snjc pose d’une certaine manière la question suivante : Qu’est-ce que les patrons de presse bénéficiaires de « l’appui financier substantiel [reçu] des pouvoirs publics pour un événement comme l’élection présidentielle » (dixit Séverin Tchounkeu dans un communiqué paru dans le Messager n°3457 du 25 octobre 2011, page 11) ont-ils réservé, dans ces enveloppes substantielles, au traitement de leurs hommes ? Question subsidiaire : en quoi ces enveloppes ont-elles bonifié la couverture médiatique que les rédactions avaient prévu pour la Présidentielle du 9 octobre 2011 au point d’aider le public à bien comprendre les enjeux du scrutin et à opérer leurs choix en âme et conscience ? Les réponses à ces questions paraissent d’autant utiles qu’elles peuvent seules justifier le prétexte utilisé par le Gouvernement pour partager, dans des conditions peu éthiques, de l’argent ponctionné dans les caisses du Trésor public. Parce que ces sorties d’argent n’ont de sens que parce qu’elles aident les entreprises de presse à mieux exercer le droit du public à l’information.

En effet, avec le recul sur toutes informations qui circulent ouvertement ou confidentiellement dans le milieu de la presse, il apparaît que très peu de Rédactions ont ressenti dans leur fonctionnement, d’une manière ou d’une autre, l’arrivée de ces fonds frais dans les caisses desdites « entreprises ». Dans une arrogance qui masque mal le malaise de la mise en lumière d’une opération de corruption que certains avaient souhaité secrète, quelques DP se prévalent d’être « propriétaire de [leur] journal » pour n’avoir aucun compte à rendre à personne. Alors qu’il s’agit des fonds publics. Des informations reçues des confrères, dans la confidentialité, il apparaît que les chefs d’entreprise impliqués dans l’opération ou leurs représentants (licites ou pas) ont affiché des attitudes « managériales » qui permettent de les classer en quatre catégories.

Mystère sur l'argent

D’abord, les chefs d'entreprise qui ont considéré que les fonds reçus des pouvoirs publics représentaient une espèce d’aide publique spéciale à la presse. Ces derniers ont donc versé l’intégralité des sommes encaissées dans le compte de leur entreprise pour les affecter aux dépenses liées au fonctionnement de leurs journaux, donc à la collecte et au traitement de l’information. C'est dans cette catégorie qu'on retrouve Emmanuel Gustave Samnick, DP du quotidien L’Actu. Son attitude faite de transparence totale, y compris à l'égard de ses collaborateurs, le montre à suffire.

Il y a ensuite les chefs d'entreprise qui considèrent que les fonds mis à disposition par le Dcc et le Mincom représentaient un « dépannage personnel » et qui ont entretenu le mystère total sur les sommes encaissées. Sont surtout concernés ici, les patrons des entreprises unipersonnelles (ou quasi unipersonnelles) du genre de celles qui éditent Le Jour ou La Nouvelle Expression. Le flou entretenu sur l'opération renseigne sur l'attitude en interne vis-à-vis des collaborateurs, voire très probablement des caisses de leurs entreprises respectives... Le tango exposé à la face du monde par Séverin Tchounkeu qui a affirmé n’avoir reçu aucun copeck des sommes alléguées devant les collaborateurs (dixit Achille Mbog Pibasso sur 237 médias) qui lui ont posé la question, avant de saluer dans le même temps le geste des pouvoirs publics, est à cet égard assez révélateur sur le flou entretenu et les desseins cachés.

Il y a aussi ce qu’on peut nommer les « Responsables éditoriaux salariés », occupant des fonctions managériales ponctuelles ou permanentes, mais placés sous l’autorité d’une instance décisionnelle ou délibérative ou tout simplement d’un vrai patron. Certains ont estimé qu'il s'agissait d'une aubaine rare et ont gardé par devers eux tout le pactole au détriment des collègues et de l'entreprise. D'autres n'ont reversé qu'une partie des fonds encaissés, dissimulant une bonne partie. Il n’est point utile de citer des cas ici. Mais le mal-être affiché par certains depuis la publication de notre enquête et même bien avant, pendant la collecte des informations, est une manière d’aveu, voire une appréhension sur les sanctions qui pourraient tomber.

Il y a, enfin, les « intermédiaires » (on pourrait aussi prendre le mot au singulier) qui ont parfois capté, au vu des témoignages nombreux et concordants mais toujours confidentiels, l'argent destiné à certaines entreprises bien connues et ne l'ont pas reversé à qui de droit. Certains des organes de presse phares de notre environnement qui n'ont rien reçu sont en fait des "victimes" de ces intermédiaires. Précisons qu’à dessein, nous avons choisi de mettre en dehors de notre champ d’intérêt, la « presse à gages » qui a toujours survécu grâce aux expédients reçus des donneurs d’ordre de l’ombre (pour démolir ou polir selon les desiderata des sponsors) et dont certains plénipotentiaires, notamment regroupés au sein d’une prétendue « Coalition des médias pour la paix », n’ont pas pu masquer le service qui était attendu de tous ceux qui ont reçu les enveloppes : récuser bruyamment (à quel titre ?) ce que certains ont appelé « toute initiative visant à encourager le désordre et le cahot ».

Capital humain

Le tableau ainsi présenté des catégories des patrons, telles qu’elles sont révélées par l’affaire de l’appui financier de la Dcc, rassure peu quant à la volonté de la plupart des promoteurs de journaux et autres acteurs du secteur de mettre en place un cadre qui favorise l’émergence de véritables entreprises de presse au Cameroun. Leur attitude témoigne, en effet, entre autre déception, du peu de considération qu'ils accordent à leurs employés. Une attitude qui fragilise d'ailleurs la demande sans cesse renouvelée (mais toujours justifiée au-delà de des dérapages) de l’instauration d'une bonne politique d'aide publique à la presse dans la mesure où le dessein commun de certains de ces acteurs est de capter ces ressources publiques, non pas pour développer l'entreprise de presse afin de lui permettre d'assumer efficacement ses devoirs de service public (éducation, formation, information, reliance sociale, etc), mais pour assurer un enrichissement personnel.

Si ces patrons sont dangereux pour l’essor de la presse au Cameroun, c’est parce l’entreprise de presse opère justement dans ce qu'on appelle le secteur de l'économie de la connaissance. Ici, l'essentiel de ce qui est vendu ou servi au consommateur relève de l'immatériel. C’est le résultat de la créativité humaine et du savoir-faire du personnel. S'il y a un bon reportage, c'est d'abord parce qu'il y a un bon journaliste à la base. Pareil pour une bonne émission ou une bonne chronique, qui fidélise un lectorat ou un auditoire. S'il y a un bon journal, c'est parce que le fonctionnement de l’entreprise, qui repose sur les hommes, est respecté. Le capital humain est très important dans ce genre d'entreprise. Les performances de cette dernière sont intimement liées à la qualité, à l'état d'esprit et à la motivation des hommes. Cette réalité n'échappe à personne, sauf bien sûr à ceux qui excellent dans la mauvaise foi...

Pour s’en convaincre, souvenons-nous de ce qui s'était passé au moment où devait aboutir la Convention collective du secteur de la presse. Les patrons avaient conditionné l'application de certaines dispositions de ce texte (notamment le niveau des salaires à offrir aux employés) à l'application de la Convention de Florence et de son protocole additionnel de Naïrobi. Ils attendaient que les pouvoirs publics apportent une aide considérable aux entreprises pour leur permettre de faire face à leurs obligations. Si chaque franc que l'Etat donne, comme on l’a vu avec le soutien de la Dcc est confisqué par ceux qui se croient tout permis parce qu'ils ont créé une entreprise, alors cette demande d'aide publique prend les contours d'une arnaque, voire d'une distraction de fonds publics... Et cela discrédite l’entreprise de presse dans les attentes qu’elle formule à l’adresse de l’Etat.

C.B.

 

Publié dans Médias et gouvernance

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